La plupart des années, le gouvernement du Canada dépose devant le Parlement un important document dans lequel il indique comment il entend percevoir et dépenser l’argent des contribuables. Il s’agit du budget fédéral. Le budget a des répercussions sur le quotidien de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.
« Les impôts vont‑ils augmenter ou diminuer? »
« Combien ira à la réduction de la dette? »
Voici un aperçu du processus budgétaire fédéral, de ses principaux intervenants, du cycle de planification et de la mise en œuvre du budget au moyen d’une loi.
Depuis la Confédération, 152 budgets ont été déposés. Le premier, qui remonte au 7 décembre 1867, a pris la forme d’un discours prononcé par le ministre des Finances de l’époque, John Rose1, et dont le texte a été reproduit dans le Hansard du Parlement. Il portait sur des dépenses de 5,3 millions de dollars2. Le budget est devenu un document dont l’ampleur a augmenté au fil du temps. Le budget le plus volumineux a été celui présenté par Marc Lalonde en 1984; les documents pesaient au total plus de 14 livres3. Le plus récent budget, celui de 2010, compte quelque 500 pages et porte sur des dépenses de 280,5 milliards.
1 Bryce, Robert B., Maturing in Hard Times. Kingston et Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1986. p. 2‑3.
2 Exposé financier de l’honorable John Rose, 7 décembre 1867. Ottawa (annexe A).
3 Neddow, W.G., A Study of Department of Finance Publications, 1997 (non publié), p. 3.
Chaque année – à l’occasion, deux fois la même année –, le gouvernement présente un budget pour demander au Parlement l’autorisation de dépenser l’argent des contribuables.
Le budget est le principal document d’orientation du gouvernement. On y annonce les modifications du régime fiscal, les nouvelles dépenses et les prévisions de revenus. À cela s’ajoutent des prévisions économiques. Le budget est un important rouage de la réalisation des priorités du gouvernement, lesquelles sont définies par les engagements électoraux, le discours du Trône et l’évolution de la situation.
Quelle est l’ampleur du budget? Jugez‑en par vous‑même :
Si on empilait des pièces de 1 $, il en faudrait 280,5 milliards, ce qui représenterait quelque 547 000 kilomètres de hauteur, soit l,5 fois la distance de la Terre à la Lune.
Comme vous le savez, les joueurs de hockey du Canada cachent parfois un huard au centre de la patinoire comme porte‑bonheur. Eh bien, les 280,5 milliards de huards que dépense le gouvernement couvriraient plus de 124 000 patinoires de hockey de grandeur olympique!
Le budget est également une mesure de confiance. Autrement dit, si le Parlement vote contre le budget, le gouvernement doit démissionner. Lorsqu’il prononce le discours du budget à la Chambre des communes, le ministre des Finances dépose également une motion afin « que la Chambre approuve la politique budgétaire générale du gouvernement. »
Le budget repose essentiellement sur des choix. La liste d’épicerie que constituent les demandes de nouvelles dépenses, de baisses d’impôt et de réduction de la dette va toujours au‑delà des fonds disponibles. Il faut faire des compromis. On peut considérer le processus budgétaire comme le mécanisme qui permet d’évaluer et de faire ces compromis de la façon la plus efficace possible.
Le sort du budget dépend souvent de ce que le gouvernement soit majoritaire ou minoritaire. Le gouvernement du Canada est tombé à deux reprises au cours de notre histoire à la suite du vote sur le budget à la Chambre des communes. Ce fut le cas du gouvernement libéral minoritaire de Pierre Elliott Trudeau, en 1974, et du gouvernement progressiste conservateur minoritaire de Joe Clark, en 1979. Fort d’une majorité, le premier ministre sait que le budget sera adopté. Par contre, si le gouvernement est minoritaire, le processus budgétaire joue un rôle clé pour que le budget recueille autant d’appuis que possible auprès des divers partis politiques.4
4Bibliothèque du Parlement.
Les principaux intervenants de l’élaboration et de l’exécution du budget sont la fonction publique, le Cabinet et le Parlement, qui participent tous au processus afin de rendre compte des points de vue et des priorités des Canadiens.
Au sein de la fonction publique, les principaux intervenants sont le ministère des Finances, le Conseil du Trésor et le Bureau du Conseil privé.
Le Cabinet est le principal organe décisionnel du gouvernement; les ministres y siègent. Les propositions de dépenses sont élaborées par les comités du Cabinet. Le Cabinet doit approuver le contenu du budget, mais les décisions clés sont prises par le premier ministre et le ministre des Finances.
Le Parlement doit approuver le budget. Les parlementaires participent également au processus budgétaire par la voie des comités parlementaires permanents, surtout par le Comité permanent des Finances.
Les organismes centraux, dont le Bureau du Conseil privé et le ministère des Finances, jouent un important rôle consultatif à l’égard du budget.
Le ministère des Finances fournit des conseils et des analyses sur des questions économiques et financières, et sur des politiques comme celles visant la fiscalité et les paiements de transfert aux provinces et aux particuliers. Il se fait aussi l’avocat du diable en remettant en question les politiques et les programmes proposés par d’autres ministères.
Le Bureau du Conseil privé fournit des conseils au premier ministre et au Cabinet, en plus de gérer l’ordre du jour de ce dernier.
Le cycle de la planification budgétaire s’échelonne sur toute l’année. L’exercice du gouvernement débute le 1er avril et prend fin le 31 mars suivant. Il n’y a pas de calendrier établi, mais le ministre des Finances dépose habituellement le budget avant le début du nouvel exercice – souvent aux environs de février ou de mars.
Habituellement entre mars et juin, le Cabinet passe en revue le budget précédent et décide des priorités du prochain budget. Les comités du Cabinet discutent si les politiques et les programmes annoncés dans le dernier budget fonctionnent bien.
C’est là que les ministères rédigent des plans pour indiquer comment ils entendent dépenser les fonds qu’ils ont reçus de par le budget précédent. Ces plans doivent être approuvés par le Conseil du Trésor et sont aussi examinés par les comités parlementaires.
De juin à septembre, les fonctionnaires, les comités du Cabinet et ceux du Parlement étudient les stratégies et les options budgétaires qui seront soumises au ministre des Finances.
« Devrait‑on réduire ou augmenter les impôts? »
« Avons‑nous les moyens de construire de nouvelles routes et de nouveaux ponts? »
« Devrions‑nous créer un nouveau parc national? »
Voilà des exemples de choix que ces groupes doivent faire. Et ce sont souvent des choix difficiles.
C’est là que le ministère des Finances prépare la Mise à jour économique et financière, qui énonce les prévisions au sujet des perspectives économiques et de la croissance économique, de même que les risques potentiels pour la situation financière du pays.
Entre septembre et décembre, la plupart des années, le Cabinet examine les stratégies présentées par le ministre des Finances en prévision du prochain budget. Le ministère des Finances commence à établir les prévisions économiques et financières de la prochaine année, de même que les cibles financières possibles.
C’est à peu près à ce moment que le ministre des Finances entreprend des consultations auprès du public, des provinces, des territoires et d’autres intervenants.
Ensuite, le Comité permanent des finances soumet un rapport sur ses propres consultations auprès des Canadiens, qui renferme une série de recommandations. Le ministre des Finances s’appuie sur ce document et sur les recommandations issues des consultations publiques ou formulées par les ministres provinciaux des Finances et les comités du Cabinet pour établir une stratégie budgétaire.
Autrefois, le processus budgétaire était entouré du plus grand secret et prévoyait très peu de consultations. À l’époque où Louis St. Laurent était premier ministre, le ministre des Finances devait dactylographier lui‑même tous les documents budgétaires pour éviter que les secrétaires puissent les lire. On estimait que ce secret était nécessaire afin qu’on ne puisse profiter des décisions à venir du gouvernement.
Ces dernières années, les gouvernements successifs ont ouvert le processus afin de consulter des groupes d’intérêts. Ainsi, dans le cadre de ses consultations prébudgétaires, le Comité permanent des finances rencontre des centaines de groupes et de particuliers de partout au Canada.
En 2006, le ministère des Finances a tenu ses premières consultations prébudgétaires publiques sur le Web.
Le Cabinet passe en revue la stratégie budgétaire, y compris les cibles budgétaires, les nouvelles dépenses et les compressions. Le premier ministre et le ministre des Finances prennent les décisions finales.
Le ministre des Finances prépare les documents budgétaires traitant des revenus et des priorités de dépenses du gouvernement.
Le premier ministre et le ministre des Finances se rencontrent régulièrement au cours de cette période.
La stratégie budgétaire résultante est soumise à l’examen du Cabinet.
Contrairement à ce qu’on pourrait prétendre, les prévisions économiques que le gouvernement utilise pour préparer son budget ne reposent pas sur une formule secrète!
Chaque année depuis 1994, le ministère des Finances mène une enquête auprès d’économistes de premier plan du secteur privé pour recueillir leurs estimations à l’égard de la croissance de l’économie. Les prévisions économiques correspondent à la moyenne de cet échantillon. En prévision du budget de 2010, on a consulté 16 économistes canadiens de renom.
Ce processus fournit au gouvernement une importante perspective externe de l’économie et compte sur l’appui d’organisations comme le Fonds monétaire international.
Le ministère des Finances utilise les prévisions économiques pour prévoir les dépenses et les revenus – il s’agit des prévisions budgétaires.
En raison de sa situation financière solide, le Canada jouit d’une cote triple A sur les marchés financiers. Cela profite non seulement à Ottawa, mais également aux provinces, aux municipalités, aux familles et aux entreprises – qui bénéficient tous de frais d’intérêt moins élevés – puisque c’est la cote de crédit du gouvernement fédéral qui détermine celle du pays tout entier.
La tradition veut que le discours du budget soit lu à la Chambre des communes après la période de questions quotidienne. Le texte du discours aura fait l’objet de multiples ébauches avant que la version finale ne soit au point.
La tâche colossale que représente la distribution du plan budgétaire s’amorce bien avant que le ministre des Finances ne se lève pour prononcer son discours.
L’un des principaux volets de cette tâche est le huis clos des députés de l’opposition, des représentants des gouvernements provinciaux, des gens d’affaires et des médias. Par exemple, afin que les journalistes aient le temps de préparer leurs reportages, ils sont enfermés ensemble dans une salle; ils ont alors accès à l’avance à des exemplaires des documents budgétaires, et des fonctionnaires du ministère des Finances leur donnent des séances d’information. Les consignes de sécurité sont très strictes. Des agents de la GRC parcourent la salle à la recherche d’appareils de transmission électronique. Les journalistes doivent respecter l’embargo jusqu’à ce que le ministre des Finances commence à prononcer son discours, sinon ils risquent de perdre leurs privilèges, y compris l’accès à de futurs huis clos médiatiques. Dès que le ministre des Finances se lève en Chambre afin de prendre la parole, les journalistes se précipitent pour communiquer les détails du budget.
Avant l’utilisation à grande échelle d’Internet, l’impression et la distribution des documents budgétaires représentaient une vaste entreprise.
L’impression des documents débutait trois semaines avant le jour du budget, et les préposés à l’impression étaient souvent isolés afin de les empêcher de rompre le secret budgétaire.
Au cours des années 1970 et 1980, on jugeait essentiel de permettre à tous les Canadiens d’avoir accès aux documents budgétaires dès leur publication. Le ministère des Finances mobilisait alors des avions cargo Hercule d’un bout à l’autre du pays pour distribuer les documents budgétaires. Un plan de vol typique comprenait des escales à Thunder Bay, Winnipeg, Regina, Calgary, Vancouver et Victoria. Un autre appareil se chargeait de la distribution dans l’Est du pays. Après l’atterrissage, les documents budgétaires étaient acheminés, sous escorte par des agents de la GRC, vers les bureaux de la Banque du Canada de chaque ville, où ils étaient conservés dans des voûtes pendant plusieurs jours.
Avant l’aube le jour du budget, d’autres avions décollaient à destination de Londres, de Paris et de Washington afin que les diplomates aient les documents en main à temps pour le discours – mais pas avant!L’une des traditions les plus étranges liées au discours du budget est celle des chaussures du ministre des Finances. Depuis Mitchell Sharp, dans les années 1960, certains ministres des Finances ont pris l’habitude de porter des chaussures neuves le jour du budget. Dans l’espoir d’éclaircir le mystère entourant l’origine de cette « tradition », le personnel de la Bibliothèque du Parlement a interrogé d’anciens ministres des Finances et leurs collaborateurs, mais en vain. Aucun des ministres ne sait d’où vient la tradition.
Les recherchistes de la Bibliothèque ont découvert que sept ministres des Finances ont porté des chaussures neuves. Parmi eux, John Crosbie a chaussé des mukluks et Paul Martin, des bottes de travail, un cadeau du premier ministre Jean Chrétien. Ces dernières années, le ministre des Finances actuel, Jim Flaherty, a acheté des patins neufs pour son fils afin de mettre l’accent sur les mesures centrées sur la famille. Il a aussi porté des chaussures ressemelées en signe de frugalité.Peu après la publication du budget, le gouvernement dépose le projet de loi d’exécution du budget. Ce projet de loi met en place les principales mesures fiscales et de dépenses contenues dans le budget. Les mesures fiscales plus techniques ou complexes font souvent l’objet de lois d’exécution du budget supplémentaires.
Et le cycle budgétaire recommence depuis le début avant même que ces projets de loi ne soient déposés – et que les chaussures neuves du ministre ne se soient assouplies.